Ses premières tentatives d’écriture, accueillies avec complaisance par une revue co-
fondée avec quelques camarades sur les bancs du lycée, se nourrissent des combats de
1973 pour l’unité populaire chilienne, l’inspiration issue de la fièvre révolutionnaire cédant
quelquefois le pas aux premiers émois adolescents.
Puis le tourbillon de la vie entraînera le poète en herbe au long des années 80 sur la trace
des mines du roi Salomon, à l’assaut des glaciers des monts de la lune, dans les espaces
du Sahel, sur la route de la soie et le plus souvent à écrire des notes économiques dans
un bureau du quatorzième arrondissement de Paris. On peut dire avec assurance qu’en
ces temps, le poète dort.
Une éclaircie survient en 1995 quand le choc frontal de l’hiver russe et de la
sécheresse africaine, encaissé lors d’un voyage Saint-Pétersbourg - Paris -
Ouagadougou, réveille l’animal assoupi qui entame alors la rédaction d’un ensemble
de nouvelles intitulé Quelques histoires de sable et de neige. Il en sortira un conte
initiatique, Agadès. Le chantier des autres nouvelles reste ouvert.
En 2001, inspiré par l’éclosion d’une fleur nouvelle prénommée Léa,
l’auteur écrit un poème, le premier depuis de longues années, qu’il soumet
au verdict du jury du concours Télérama. Démesurée - c’est son titre - remporte le premier prix et permet
au poète renaissant d’être édité par «Le temps des cerises», d’avoir les honneurs de
France-Inter, d’être invité par l’Oulipo et de fréquenter le microcosme des cafés-galeries
pour des lectures aussi enthousiastes qu’éphémères.
Dès lors, l’auteur écrit de nouveaux textes ou le rythme des séquences, les aspérités
des mots et l’intime du propos échangent et s’épaulent dans des variations libres
pouvant conduire à des poèmes dégraissés et elliptiques, des chansons réalistes en
langage populaire, des slams jouant sur les allitérations ou des confessions en prose.
A ce stade du propos, osons le sérieux : pour Pierre Desgranges, un seul objet de poésie
vaut écriture, c’est l’amour absolu, dans le temps et en dehors, indispensable dans le
combat des mots. Il faut s’y frotter et s’y perdre, en animaux semblables à ce chien qui
fouit de son museau la terre souillée pour y trouver sa mort... ou sa vie.