L'argument
« A la criée du temps », ou le rêve de résistance
La criée du temps, c'est d'abord le cri, parce que la poésie est un combat. C'est ensuite le
temps, celui qui reste et le temps vécu, avec ses habits de nostalgie, de petits et grands
bonheurs, de souffrances et d'espoirs. C'est enfin le temps vendu à la criée, comme un poisson
encore vivant qui ouvrirait la bouche sur l'étal du marchand dans un dernier effort d'existence.
Le temps des amours trop tôt enfuis, des pas qui s'éloignent, comme si des forces invisibles
refusaient que deux êtres puissent continuer à s'aimer sous le regard bienveillant des heures
qui passent. Il faudrait donc arrêter ce temps là, comme dans une danse du balai macabre où
les mains se détachent et que chacun continue de son côté avec juste la tentation, vite éteinte,
de se retourner une dernière fois. Il faudrait le vendre au plus offrant, ce magnifique temps
d'amour transformé en souvenir, pétrifié, refroidi. Mais pour celui qui refuse cette fatalité,
alors chaque poème devient une révolte contre l'ordre établi des amours qui devraient se
succéder, contre la facilité des sentiments interchangeables, contre l’infidélité à l’absolu.
La rencontre avec la terre, un chien enragé, un train venu de nulle part, un désert imaginé:
autant de signes de la permanence, de l'engagement, du rêve de résistance. Toutes les formes
poétiques peuvent être mobilisées, le chant populaire, l'ellipse, le conte, les rimes ou les non-
rimes, pour autant que le rythme des mots impose sa force. C'est le rythme qui fait exister ces
poèmes, comme le vent fait exister le sable du désert. "Qui rêvera dans les traces de nos pas
effacés" ? disait Mano Dayak. Ces poèmes sont faits pour accueillir ceux qui veulent encore
rêver dans les traces de nos amours effacés.
L'extrait
Puis sont venus les écorcheurs
pêcheurs des heures vives
aux navires interdits de nom
aux voiles noires écoutes gluées de suif
le temps jeté dans des filets de pêche
vendu en habit de putain morte maquillée
indifférente au râle vrillant la voute
le temps de notre amour vendu à la criée
comme un enfant d’Afrique qui n’y reviendra plus
J’ai couru vers les étals du temps hurlant
les pièces d’étain volaient autour de moi
les marins riaient gras j’ai couru la jetée
puait huile et mensonge j’ai couru ton visage
avait des reflets de sardine
j’ai tendu mes mains vers
tes écailles vertes
le reste je ne m’en
souviens
pas
Données techniques
Pierre Desgranges
A la criée du temps
Poésie
Collection Ouvres-Boîtes
100 pages
Parution en
Décembre 2010
20
euros
ISBN : 978-2-919483-01-3