L'argument
Il y a bien des années, j'avais ignoré le roman de ma grand-mère -autopublié timidement à la fin de sa vie-, influencé peut-être par mon père. Celui-ci ne le trouvait pas digne d'attention, je ne saurai jamais pour quelle obscure raison ou plutôt, il me semble soupçonner quelle en est la cause mais là n’est pas le sujet…
Ce qui est sûr c’est que nous avions tort tous les deux. Le hasard me l'ayant à nouveau mis entre les mains grâce à une éditrice avertie qui s’est enthousiasmée par le parcours hors norme de l’écrivaine et poétesse Simone Bernadette de Rousset et de sa vie haute en couleur, pleine d’aventures et de rebondissements incessants. J’y ai porté un autre regard, en commençant par la première page et non en piquant au hasard quelques phrases qui, sorties de leur contexte, n’avaient guère de sens. J'ai découvert un drame de la Comédie humaine du XXème siècle, dans lequel une jeune mère de famille se voit jeter dans l'Histoire de « nos heures les plus sombres ». Son interrogatoire saisissant dès le début du livre par la gestapo avec le commandant, ce « bœuf maigre qui rumine » va servir de trame au récit de sa vie présente et passée. Un père qu'elle vénère, une mère détestée, un fils qu'elle abandonne malgré elle à son premier mari alias « la brute africaine », ses filles qu’elle adore, son deuxième mari juif qu'elle protège, tel est le décor de son parcours de combattante.
L'histoire familiale, les passions amoureuses et les échecs se mêlent dans ses souvenirs entre les questions du bourreau en puissance qui tombent à chaque fois comme un coup de hache qu'il faut éviter. On est bien en peine d'imaginer l'issue que prendra ce jeu de ping-pong mâtiné de roulette russe. Son intensité et sa durée pourraient nous faire penser au pire. Mais plus que tout c’est un hommage au père omniprésent et omnipotent tout au long du récit. Il fait partie de la confrérie des Frères Pénitents Gris instituée à Aix en 1677 par le cardinal Jérôme de Grimaldi comme l’indique le titre du livre. L’autrice le présente comme un homme dévoué et rempli d’amour pour son prochain. C’est lui, cet homme exemplaire à qui elle se doit de ressembler pour le meilleur qui la guide et lui apporte le soutien, le courage et la force morale nécessaire pour garder la tête haute devant l’adversité. C’est pour lui faire honneur qu’elle se bat corps et âme au péril de sa vie faisant confiance à ce gardien indéfectible. Nous sentons son souffle incandescent qui la conduit tout au long des périples et la maintient en vie au-dessus de la mêlée guidée par la foi en la rédemption de l’humanité et de son pardon. Elle ne se sent pas toujours aussi parfaite mais plus que tout elle veut que ce père soit fier d’elle. Va-t-elle tenir sa parole ? Et aller au bout de sa promesse ?
Un roman envoûtant, palpitant et que l’on ne lâche que la dernière page tournée et que nous sommes heureux de pouvoir mettre en lumière aujourd’hui.
Michel Carlon et Florence Issac, Pau le 28/08/24
L'extrait
Le commandant Otto Witz me déshabille du regard. Il remonte lentement des pieds au cou, ne franchit pas le menton pour arriver au visage, mais se met à redescendre ; encore plus lentement. Cette fois ses yeux s’arrêtent sur ma poitrine, je les sens perçants à travers ma robe, pas très épaisse en cette saison.
C’est un des deux géants qui m’a introduite. Il n’a pas dit un mot. Il a ouvert la porte, m’a fait signe de passer et a refermé derrière moi. Je me suis trouvée en présence d’Otto Witz, commandant dans la Wehrmacht, Chef de la Gestapo de Toulon. Je l’ai vu devant moi, assis à son bureau sur lequel se trouvaient des papiers, des dossiers, enfin, ce qui se trouve normalement sur un bureau, mais j’ai senti le froid, un tout léger froid sur ma peau en les apercevant, parce que des documents et des dossiers de la Gestapo que pouvaient-ils être sinon, réduit sous forme de papier, le sort de tant d’hommes ; peut-être le mien, peut-être celui de mon mari. Il y avait aussi un stylo, à tout prendre inoffensif, un stylo noir que le commandant Otto Witz avait déposé à mon entrée ; en le refermant soigneusement, comme l’Allemand ordonné qu’il était.
Données techniques
Simone-Bernadette de Rousset
Fille de pénitent gris
Roman
Collection Pioche
212 pages
Parution le 1er Novembre 2024
20 euros
ISBN : 978-2-491991-25-8
ISSN : 2118-0458