L'argument
Décembre 1835 - Pierre-François Lacenaire est enfermé à la Conciergerie, condamné pour trois crimes crapuleux, vol et escroquerie. Tandis que se déroule le procès de Pierre-François Lacenaire, puis dans l’attente de son exécution, le Tout Paris se précipite à la Conciergerie pour aller le voir, l’écouter, l’examiner. Savants, religieux, écrivains, s’intéressent au « poète-assassin », à « l’esthète du crime ». Son affaire passe de la rubrique faits divers d’une obscure colonne de journal à la Une de la presse.
Le choix du sujet : Lacenaire : le plus illustre des inconnus. Au 19ème siècle, Pierre-François Lacenaire s’est bâti une réputation, non par l’envergure de ses crimes mais par le contraste qui existe entre le personnage et ses actes. Ce dandy issu de la bourgeoisie provinciale, n’a pas le profil classique du criminel. C’est un érudit et un poète. Il a déclaré la guerre à la société et justifie ses crimes par l’injustice sociale dont il a été victime. .
Lacenaire fascine. Il fascine les personnages de la pièce, qu’ils lui portent de l’affection, comme c’est le cas du père jésuite Reffay de Lusignan ou qu’il attire le mépris et le dégoût comme l’exprime Gustave Fauvergue. Mais une chose est certaine : nul ne reste indifférent à Lacenaire. Il est au centre des conversations et des mondanités. C’est à partir de la « fureur mondaine » qui a fait de Pierre Lacenaire « un people » en 1835, que le personnage m’a intéressé. Comment, par le biais de menu larcins et crimes sordides, peut-on devenir un incontournable de la bonne société bourgeoise, à l’époque de la Monarchie de Juillet, ou aujourd’hui ? Se pose ici la question de l’engouement de la part du grand public pour des personnalités lorsqu’elles sont moralement peu recevables. Résonnance avec notre part d’ombre, séduction des « Inadaptés », ou simple nécessité mondaine ? Jusqu’à quel point sommes-nous prêts à consommer du sordide tant que l’emballage cadeau a une « belle tête » ? Il est vrai que Lacenaire a bonne figure, une bonne dose de charisme et des talents d’orateur hors pair.
Le parti pris : Lacenaire n’apparait jamais directement dans cette pièce. Ce n’est pas lui qui nous intéresse exclusivement mais tout ce qui gravite autour de lui. Les scènes de l’émission télévisées le démontrent. Le personnage me semble « coller » au contexte actuel où le public est confronté, davantage qu’au fait divers, à ce qui est dit et redit autour du fait divers, et amplifié par les médias. .
En 1945, Marcel Carné a refait sortir le personnage de l’oubli en lui accordant une place dans son film Les Enfants du paradis. Depuis, le théâtre et le cinéma l’ont remis en scène, adoptant différents angles.
L'extrait
VITALINE FAUVERGUE (tout en confiant son manteau et son écharpe à la servante) :
J’arrive de la Conciergerie ! J’ai assisté à une lecture de poésie… Ah ! quel talent ! Quelle érudition ! Non seulement l’homme est bien fait de sa personne mais en outre… il parle bien. Saviez-vous qu’il avait fait ses classes au collège de Lyon avec Edgar Quinet ?
AGATHE RENOUILLET:
Vraiment ?
VITALINE :
Et ce n’est pas tout : il était sur les mêmes bancs que l’avocat Belloc et le préfet Jayr qui ont été saisis de son affaire ! Si ce n’est pas un hasard… Ah, s’il n’avait ce funeste destin au bout de sa route, je me serais arrangée pour que tu aies ta chance de le rencontrer…
AGATHE (soupir désabusé) :
Tu es bien pressée de me voir convoler... avec n’importe qui.
GUSTAVE (outré) :
Ma chère Vitaline, je vous rappelle que cet homme n’est qu’un petit criminel ambitieux, qui n’a pas hésité à faire couler le sang et à boire à la santé de sa victime.
VITALINE (frivole):
On croirait vous entendre parler des Massaï !
GUSTAVE :
J’ai ouï dire que les Massaï avaient du cœur, bien plus en tout cas que ce Monsieur Lacenaire qui fait le fanfaron et raconte qu’il tue un homme comme il boit un verre de vin !
VITALINE (se servant à manger) :
Ces paroles ont été extirpées de leur contexte, voire inventées par des gens qui voudraient le montrer sous un jour peu reluisant ! Cet homme est, je puis vous l’assurer, un homme de grande classe. Las, il a joué de malheur et si son père n’avait pas fait faillite comme il se plaît à le raconter, il serait aujourd’hui de ces gentilshommes dont on loue la prose, les vers et la galanterie.
Données techniques
Sabine Jourdain
Lacenaire, votre émission du soir
Collection Coupe-papier
114 pages
Parution en février 2021
17 euros
ISBN 978-2-919483-66-2
ISSN 2426-3192