L'argument
D’un virus à l’autre. De 1986 à 2024. Des années SIDA aux années COVID. Le Tartare de pangolin nous immerge en milieu hospitalier et nous livre une version de plus, parfaitement imaginaire, de l’origine de la pandémie. La version d’un chirurgien qui pendant deux ans a eu le temps de compter les vagues, qui s’est souvenu des petites histoires hospitalières du monde d’avant et qui a imaginé la possible débandade sanitaire de demain. Le résultat : neuf histoires courtes comme autant de tours génoises jalonnant un parcours hospitalier long de quarante ans.
Le Tartare de pangolin est le deuxième ouvrage de Laurent Dugué. Son premier roman 8 rue Raoul Berton retrace les souvenirs de son enfance. Dans ce recueil de nouvelles, il parle de son métier de chirurgien, depuis ses débuts jusqu’à aujourd’hui. « J’ai dépassé le stade de la colère. » Laurent Dugué me parle dans les couloirs des urgences avant de remonter à l’étage dédié à la chirurgie viscérale et digestive. C’était en octobre dernier. Ce « dépassement » se retrouve dans le ton de ses nouvelles
où l’indignation fait place au risible, à la farce. Il est difficile aujourd’hui d’ignorer que l’hôpital va mal. Le Tartare de pangolin fait sienne cette information pour aller chercher non pas la cause ou les coupables, mais les effets sur les êtres. L’écriture fluide accélère la bascule de personnages ordinaires à l’extraordinaire. Le récit nous sidère. On commence à lire, à ne pas vouloir y croire. Et c’est le ton de la farce, a fortiori dans les situations graves, qui donne une force démultipliée à la réalité.
Comme s’il fallait dépasser la gravité, le sérieux du réel pour l’envisager pleinement. Les nouvelles ne sont pas toutes réalistes mais elles ont cette sincérité si chère aux écrivains lorsqu’ils vous présentent un monde qu’ils connaissent, absolument vrai. On touche alors à une forme de vérité d’une tout autre vitalité, qui invite à rire plutôt qu’à pleurer. Le métier de Laurent Dugué l’a évidemment confronté à des situations extrmes. Nul doute qu’il s’en soit nourri. Mais encore faut-il réussir à le représenter par l’écriture.
C’est ce qu’il fait, magistralement. Le récit est alors une bouffée d’oxygène, même lorsque les moments liés à la mort sont difficiles à soutenir. Là encore, la colère laisse place à l’amour inconditionnel du vivant.
Émilie Deleuze
L'extrait
Déguisés en cosmonautes, nous allions de chambre en chambre enfoncer de petits Cotons-Tiges flexibles le plus loin possible dans les narines des pensionnaires pour réaliser le fameux test PCR. La plupart d’entre elles, retirées de l’agitation du monde, apprenaient à cette occasion cette histoire de virus envahissant. Dans chaque chambre, une aventure nous attendait, des photos de famille sur les murs résumaient des décennies de vie. Beaucoup de Marie, Madeleine, Lucienne, Irène, Colette, Henriette. Aucune Vanessa.
Et puis derrière une porte, une vieille dame faisait son ménage. Elle avait transformé ces dix mètres carrés en un endroit chaleureux. Il y avait là un meuble luisant d’encaustique, surchargé de souvenirs. Au mur, la photo d’un accordéoniste. Son mari, me dit-elle. Elle était élégante. Je l’ai tout de suite reconnue. Ce ne fut pas réciproque, à cause de mon déguisement. Je l’ai félicitée pour l’aménagement de sa chambre.
« À midi, j’aime bien que tout soit en ordre. »
Je lui plaçai mon petit baratin et procédai à l’écouvillonnage.
– Docteur, je connais votre voix et je reconnais vos yeux.
– Et moi je connais votre œsophage, madame, surtout la partie basse et gauche...
– Ah ben ça alors, qu’est-ce que vous faites là docteur, je vous croyais chirurgien ?
– Je le suis toujours, madame, mais en ce moment, pas trop. Là je suis en TIG, je viens pour les PCR dans le cadre de l’opération Barbatruc. Vous comprenez ?
– Non, je ne comprends rien mais ce n’est pas grave, je vous fais confiance.
Données techniques
Laurent Dugué
Le Tartare de pangolin
Nouvelle et fiction
Collection Pioche
114 pages
Parution le 1er Novembre 2022
15 euros
ISBN : 978-2-491991-07-4
ISSN : 2118-0458