L'argument
Christian Trabut est un drôle de lascar.
En premier lieu, sachez que je ne lui confierais pas ma fille. Mon bateau, à la rigueur, pour qu’il puisse à nouveau m’embarquer dans une de ses aventures loufoques. Je dois reconnaître que c’est un habile capitaine, un roué qui a le don de savoir enrôler son équipage. Après avoir été séduit par quelques phrases bien tournées et des anecdotes plutôt cocasses, le lecteur candide que j’étais, éméché par des sentences enjôleuses bien servies, fut rudement embarqué après avoir lu quelques pages de cet étrange roman où le personnage principal s’éclipse dès la fin du premier chapitre, aussitôt remplacé par une cohorte d’individus qui passent à l’abordage, vous attrapent par la manche, les sentiments et la langue. Une escarmouche de flibustiers qui vous secoue et vous laisse un goût de poudre dans la bouche, des échardes sur les mains et des étoiles dans les rétines. De la poudre aux yeux! Une véritable escroquerie. Pensez ! Ce lascar à la langue bien pendue voudrait nous faire croire qu’à la fin du dix-neuvième siècle les animaux empaillés du Muséum d’histoire naturelle seraient revenus à la vie...
L'histoire absolument captivante, curieuse et envoûtante est originale. Tous les chapitres ont un même repère (le chapeau). On a l'impression d'un livre venu des temps anciens, tant les protagonistes sont plus que des caricatures mais des effluves d'un espace endormi qui va s'éveiller dans les torpeurs d'un musée en proie au virus de la vie.
Satire, roman noir, superbe et osé, ce livre est un joli pied de nez au conventionnel éditorial. le charme d'une trame adrénaline fois mille. Une déambulation frénétique. L'humour au garde-à-vous et la cocasserie raie de lumière au travers d'un musée où la normalité n'est plus.
Evlyne Leraut
L'extrait
S’il avait su résister à la tentation, s’il avait fait sa ronde habituelle au lieu de se plonger dans l’intimité de l’adorable mangeur de feuilles de bambous, alors Kermaël se serait peut-être aperçu de certains changements, de petites modifications dans le paysage du Muséum. Mais il était trop absorbé par ses études et tourmenté par l’impatience de retrouver sa belle pour s’étonner de quelques variations de volume, de quelques transformations qui, arrivées à leur degré ultime, allaient créer un véritable bouleversement pour lui. Quarante minutes avant minuit, Kermaël refermait la porte de la bibliothèque et se dirigeait résolument vers la petite table d’écolier. Une bougie éteinte dans une main, sa pendule dans l’autre. Le résumé de sa vie. Il s’assit sur son tabouret puis chercha dans sa besace l’habituelle boîte de conserve. Après l’avoir posée sur la table, il sentit un courant d’air. Il leva les yeux et eut juste le temps de se souvenir d’un nom en latin, Eubalaena Australis, de faire défiler la journée de printemps au bras de sa mie, quelques magnifiques images de fauves africains venant se superposer sur cette heureuse séquence de sa vie. Il se souvint aussi de l’île de Kho Tao. La queue monstrueuse de la baleine s’abattit sur lui, ne laissant dépasser de son cuir épais qu’une paire de jambes baignant dans une flaque de sang. Raide mort, Kermaël.
Données techniques
Christian Trabut
Le virus de la vie
NOUVELLES
Collection Pioche
156 pages
Parution le 1er juin 2021
22 euros
ISBN : 978-2-919483-90-7
ISNN : 2118-0458