L'argument
Un train traverse la campagne française au petit matin l'hiver. A l'intérieur deux personnages : un homme qui écrit frénétiquement tandis qu'un autre passager, le spectateur, le regarde fasciné. Deux biographies s'ébauchent, se construisent pendant la traversée des champs de neige. Un livre, une longue lettre, des histoires, émergent de cette rêverie éveillée, de ce flottement des sens, de ce vagabondage de la pensée créé par le mouvement du wagon allié au défilement du paysage. Tandis que s'écrit l'amour, l'impossibilité du couple, la difficulté de réussir sa vie, tout autour la nature triomphante recouvre sans cesse cette main qui court sur le papier, cette conscience émergente.
L'extrait
Et toujours ce bruit léger, irrégulier, doux, feutré, imperceptible du stylo sur le
papier. Les lignes bleu foncé se superposent, infernales, se recoupent parfois,
s'écartent comme les rails du trajet, se parallélisent à nouveau, montent et
descendent du fait du support mouvant du siège qui épouse les mouvements de l'ensemble du train et de ce voyage de la pensée.
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Laisser filer derrière les vitres, laisser faire. Se taire un peu. Faire taire cet esprit qui
crie, parle, part dans tous les sens tout le temps. Et au moment où on s’y attend le
moins les voir descendre du train, l’écrivain et le spectateur, l’un derrière l’autre,
l’un chassant l’autre, l’un après l’autre. Le train est arrivé.
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Ce jour-là le spectateur pousse une porte, immatérielle mais une porte tout de même.
Il ne reconnaît plus rien de ce qu’il a connu avant à part ce manque, cette faille
entraperçue, quelque chose d’ordre général dans la conduite d’une vie, cette
inattention à l’autre monde, fatale, qui l’a scotché lui à cette trajectoire linéaire,
cette vie, il faut bien donner un nom, un peu vague, court et pas très informatif.
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La lumière commence à descendre. Du spectateur se détachent maintenant
imperceptibles, légers, flottants, des lambeaux plus sombres, cendres issues de pages
brûlées, impalpables particules, désagrégations de toutes les couches successives de
sa vie feuilletée comme cela au vent, pensées obscures et jamais abouties qui sortent
par tous les pores de la peau.
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Je sais que quoi qu’il se passe dès que tu prendras connaissance de ces lignes, dès
que tu les auras sous tes yeux tu ne pourras t’empêcher de les lire. Rien à faire c’est
comme ça tu n’y peux rien et n’y pourras rien. Je ne connais personne qui refuserait
de lire des mots qui lui sont adressés et sans doute serait-ce encore plus incoercible
s'il s'agissait d'une lettre anonyme.
Presses
A propos d'Un voyage d’hiver de Bernard Sarrrut
« Quoi de plus ordinaire que prendre le train, on sait d'où l'on part où l'on arrive, pas avec Bernard Sarrut.
Laissez-vous conduire par le rythme hachuré comme essoufflé des mots qui sont déposés sur le cahier d'un voyageur
qui doit écrire pour ne pas trop souffrir. Laissez-vous conduire par le fil des pensées, pénétrez un instant dans
la vie d'un autre voyageur qui l'observe et voudrait écrire lui aussi ou peut-être lire, votre curiosité sera
satisfaite vous aussi pourrez lire... voyager dans son enfance pour revenir au paysage qui défile et prend vie-animale
sous sa plume. Des instants suspendus sont ménagés, tels de brefs arrêts, pendant lesquels vous ferez une pause de réflexion,
Le train continue sa course, il ne s'arrêtera que lorsque vous en aurez décidé... »
Mireille Couturier
Données techniques
Bernard Sarrut
Un voyage d’hiver
Nouvelles
Collection Pioche
96 pages
Parution en Septembre 2014
13 euros
ISBN : 978-2-919483-25-9
ISNN : 2118-0458